FONCIER : LE SOL EST UN BIEN COMMUN

En tant que conseiller spécial à la politique foncière, Gérard Leras cherche à limiter l’étalement urbain et à préserver les espaces agricoles. Transports, alimentation, logement, environnement… Il explique les multiples enjeux de cette question.

Pourquoi la question foncière est-elle si importante pour les écologistes ?

Nous vivons et habitons sur la terre, nous nous y déplaçons, nous mangeons ce qu’elle produit. Le sol est un bien commun, au même titre que l’eau ou la biodiversité qu’il porte. C’est une évidence que l’action politique oublie encore trop souvent.

A l’échelle mondiale, les conséquences sont dramatiques. En Amérique, les cultures extensives excluent les familles paysannes qui sont réduites à la misère. En Afrique et ailleurs, l’accaparement des terres par des propriétaires étrangers exproprie des villages entiers.

Tout cela semble un peu loin des préoccupations régionales, non ?

En Rhône-Alpes, nous ne sommes pas séparés de tout cela. Les agro-carburants font tourner nos voitures, et le soja alimente le bétail des agriculteurs français, eux-mêmes mis en difficulté par ce marché mondialisé. L’Europe est déficitaire en denrées agricoles, ce qui pourrait poser à terme un véritable problème de souveraineté alimentaire.

En effet, nous faisons face à une diminution terrible de la surface agricole et des espaces naturels : chaque année en Rhône-Alpes, 3 000 hectares sont avalés par l’urbanisation, 500 ha du fait des infrastructures. Pendant ce temps, plus de 1 000 exploitations disparaissent.

N’est-ce pas simplement un problème localisé dans la périphérie des grandes villes ?

Non, au contraire, la consommation d’espace est d’autant plus grande qu’on s’éloigne des villes. En zone urbaine, les logements sont rares et chers. On vit donc de plus en plus loin, et les villes s’étalent. En centre-ville, si on compte la voirie, les parkings et les surfaces commerciales nécessaires, l’urbanisation consomme 347 m² au sol pour chaque habitant supplémentaire. En zone rurale, cette surface est comprise entre 1100 et 4400 m² selon les secteurs, car on crée de grandes parcelles avec des chemins d’accès, des routes, etc.

Il y a aussi une consommation phénoménale liée aux projets à caractère économique tels que les zones commerciales ou industrielles. Par exemple, le long des grands axes routiers, les plateformes logistiques des transporteurs ou des grandes surfaces deviennent l’objet d’une véritable spéculation immobilière. Au final, les friches industrielles et commerciales se multiplient.

Jusqu’à maintenant, la Région laissait faire ?

Organiser le développement du territoire est l’un des rôles de base de la Région. Seulement, les écologistes constatent que jusqu’à maintenant, elle n’a pas fait le maximum.

Nous avons compris que la question foncière est à aborder de manière transversale : activité économique, agriculture, espaces naturels, transports, ville, logement, lycées… C’est ainsi que je travaille dans ma délégation.

Que proposez-vous à travers cette nouvelle politique foncière ?

En priorité, nous devons préserver les espaces naturels et agricoles. Notre objectif est que le nombre d’exploitations cesse de diminuer, et même augmente.

Pour cela, il faut arrêter les projets d’extension urbaine tout en combattant le déficit de logements. C’est donc les centres des villes qu’il faut densifier.

Enfin, il faut travailler spécifiquement sur les zones de montagne pour rééquilibrer les usages du sol. Cela passe par de nouveaux modèles de développement économique, pas seulement centrés sur les résidences vides au pied des pistes de ski.

Comment comptez-vous mettre cela en œuvre ?

La Région a un rôle de « personne publique associée ». Cela signifie qu’elle doit être consultée pour tous les documents d’urbanisme : Plan local d’urbanisme (PLU) au niveau des communes, schéma de cohérence territoriale (Scot) et charte des parcs naturels à une échelle plus large…

Aujourd’hui, elle tient mal ce rôle car elle ne lui donne pas de force politique. Or, c’est là que se décident les zonages précis entre habitat, agriculture, zones dites d’activité… Dans quelques mois, quatre personnes travailleront à plein temps pour que la Région donne un avis argumenté selon nos objectifs depuis le document de planification jusqu’à la mise en œuvre.

Ne craignez-vous pas d’être mal accueilli ?

Au contraire, cette attitude est souvent très bien vue localement. Par exemple, la Région avait émis un avis négatif sur un projet qui aurait renforcé le mitage de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie. La Chambre d’agriculture et des associations locales nous ont fait savoir que cela leur donnait une meilleure capacité de résistance.

Que ferez-vous avec les établissements fonciers comme la Safer ou Epora, dont le rôle est d’acheter des terrains pour préserver leur vocation ?

Même principe. Jusqu’à maintenant, la Région leur donnait de l’argent sans donner son avis sur les objectifs et sans regard sur l’évaluation de ce qui a été fait. Aujourd’hui, c’est fini : nous augmenterons les moyens de ces établissements tout en conditionnant précisément l’aide régionale aux actions menées.

Pour la ville, ces conditions comprennent l’économie d’espaces agricoles, la rénovation urbaine, la densité, la centralité, la mixité sociale, les transports en commun… Pour la campagne, c’est l’installation d’agriculteurs, les projets collectifs, l’exploitation forestière, la biodiversité…

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