Intervention de Claude Comet : Une stratégie foncière déterminée pour un aménagement des territoires équilibré, sobre et dynamique

Monsieur le Président,

Monsieur le Conseiller Délégué

Cher(e)s collègues,

La délibération que nous propose aujourd’hui Gérard Leras était attendue – Gérard l’a souligné. Après avoir parcouru la Région en tous sens, rencontré tous ceux qui oeuvrent en matière de foncier, il a fait salle comble en juin dernier en proposant une ultième réunion partenariale sur le sujet… nous disons – heureusement – et surtout « Enfin ».

Cette histoire de foncier qui disparaît chaque année sous les maisons, les routes, les parkings, les bureaux ou autres zones d’activité… est à la fois effrayante et révélatrice : environ 3 200 ha chaque année en Rhône Alpes, soit pour la France, l’équivalent d’un département tous les 10 ans.

Révélatrice d’un monde qui a perdu son bon sens et son lien à la terre nourricière. Les Indiens diraient la Mère matrice. Ce monde aussi qui admet difficilement la finitude de la planète, la finitude de ses ressources, de sa biodiversité – ô combien menacée…

Révélatrice enfin de cette quête toujours recommencée d’une croissance et d’un développement qui viennent immanquablement se heurter aux limites de cette si petite et si fragile planète Terre. 

36 000 communes en France et tout autant de projets de développement… cherchez l’erreur.

En guise d’illustration, permettez-moi de vous parler d’un département que je connais bien : la Haute-Savoie.

Le rythme annuel de disparition du foncier s’est stabilisé ces dernières années autour de 5 à 600 ha/an, soit la superficie de plus de 700 terrains de football.

Il n’y a pas si longtemps, c’étaient environ 800 ha/an qui disparaissaient.

De fait, pour le foncier, le département cumule de nombreux handicaps… des paysages extraordinaires (tout le monde n’a pas le mont Blanc, Sixt Fer à Cheval, le Léman ou le lac d’Annecy dans son jardin), une activité industrielle qui résiste, un tourisme encore vigoureux mais fragile, et la proximité de la Suisse.

Alors chaque année, ce sont plus de 8 000 nouveaux habitants qui se fixent sur le territoire. Et ils sont nombreux à rêver d’une maison avec vue sur la montagne et 1 500m² de jardin.

Quant à l’intercommunalité, elle n’était pas jusqu’ici suffisamment répandue. Si bien que partout s’étalent les petites bourgades et le mitage des versants

Au dessus de la vallée de l’Arve, il faut emprunter la route qui monte en balcon depuis Marignier, vers le Col de Chatillon et regarder le paysage, c’est inquiétant.

L’an dernier, un grand hebdomadaire titrait « Halte à la France Moche »  Car, – de toute évidence -, chaque commune, chaque vallée veut sa superette bien installée sur une zone plate, là où il est plus facile de bâtir et de goudronner des parkings.

Le problème pour l’agriculture de montagne, c’est que la suppression d’un hectare de foncier non bâti dans la vallée, entraîne la disparition de 5 à 7 hectares d’alpages.

La montagne justement. Abordons le sujet des stations, où depuis déjà longtemps nombres de propriétaires ont compris qu’il était plus rentable de vivre de l’immobilier, plutôt que de vivre que du tourisme.

La Haute-Savoie compte déjà plus de 650 000 lits touristiques, dont plus de la moitié ne sont jamais loués, ce sont les fameux lits froids dont parle Gérard Leras dans sa délibération.

Mais qu’une bonne part de ces résidences de loisirs gardent leurs volets clos, n’empêche pas le phénomène de se reproduire. Ainsi en va-t-il de la spéculation immobilière, au mépris de l’esprit même de la loi Montagne. Les immeubles envahissent les pâtures et la friche revient autour des immeubles.

Alors bref, en Haute-Savoie, comme partout ailleurs, et depuis environ 40 ans, on « produit » du foncier. Un euphémisme pour dire qu’on bétonne, qu’on crée ici et là des résidences, des zones commerciales qui tuent le petit commerce de proximité, des infrastructures en tous genres.

On produit du foncier donc, pour toutes sortes d’usages…

Sauf pour l’agriculture… Sans doute parce que les salades qu’on trouve dans les supérettes poussent désormais toutes seules dans les sachets directement sur les rayons après avoir fait un détour par les plaines du sud de l’Italie ou de l’Espagne.

Et puis surtout parce que le foncier, soumis lui aussi à spéculation devient carrément hors de prix.

De 3 100€ l’hectare pour les prairies à près de 4 400€ l’hectare pour les terres labourables, plaçant la Haute-Savoie au 3e rang des départements les plus chers pour les terres agricoles après les Bouches du Rhône et le Val d’Oise (source Agreste, recensement agricole).

En déplacement à Megève, nous avons également vu, avec Gérard Leras, une terre agricole de 6 ha  se négocier 700 000€. Impossible, à un tel prix, pour la Safer ou la collectivité locale de prétendre vouloir geler le bien.

Bref, il aura fallu que la situation devienne quasi critique, catastrophique, pour que produire enfin du foncier agricole, ou à tout le moins le préserver, redevienne un objectif urgent. L’an dernier les jeunes agriculteurs de Haute-Savoie – les plus concernés – ont profité de leur congrès départemental pour exhorter les pouvoirs publics à prendre des mesures fortes.

Or M. le Président, dans la feuille de route que vous avez signée pour notre collègue Gérard Leras, vous lui avez donné pour mission d’augmenter le nombre d’installations d’agriculteurs en Rhône-Alpes. Un objectif ambitieux !

Cette délibération est une étape et un signe fort.

Car si l’on veut donner espoir à des jeunes désireux de s’installer il faut dire haut et fort que la terre nous importe dans sa capacité à produire notre alimentation de tous les jours.

Bien sûr pas n’importe quel type d’alimentation.

Un éclairage également sur le prix très élevé du foncier en ville qui impacte, lui, directement l’implantation d’équipements publics et le logement des catégories populaires et des classes moyennes. C’est en particulier le cas pour le logement social dont le coût est fortement renchéri par le prix du foncier.

Le traitement des causes passe par des formes d’urbanisation alliant densité et qualité urbaine : logement en petit collectif avec terrasse ou espace vert privatif de petite taille (qui peuvent être collectifs dans le cadre de cœurs d’îlots) ainsi que la localisation de l’habitat dans des lieux biens desservis en transports en commun (limitant ainsi la production de routes, elles aussi consommatrices de foncier).

Le traitement des effets passe par un soutien à l’acquisition foncière pour les objectifs d’intérêt général, comme le logement social.

Pour finir- mes chers collègues, et parce que la préoccupation foncière est indispensable, parce qu’elle est indissociable de la relance d’une agriculture de proximité, d’une alimentation saine et de la création d’emplois nouveaux, non délocalisables, nous souhaiterions ouvrir deux perspectives de réflexion :

–              Il serait bon de demander aux Parlementaires de remettre en cause la délégation de service public octroyée aux Safer… qui ne représentent pas réellement le monde agricole dans sa diversité.

–              Comme il serait pertinent de demander aux services juridiques de la Région de nous éclairer sur l’ampleur de la perte du droit d’usage du sol au profit de l’extension d’un droit privé qui ne favorise ni l’emploi, ni l’utilisation du sol pour le bien commun.

Bien sûr, Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président, nous voterons ce rapport avec enthousiasme.

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