Dossier : pourquoi subventionner ST Microelectronics est une erreur

Lors de la commission permanente du 12 décembre, le conseil régional a attribué une subvention de 25M€ dont le bénéfice en recherche et développement ira directement à l’entreprise ST Microelectronics. Le groupe EELV-app. propose une analyse complète du dossier, et est en mesure d’annoncer que la subvention ne créera aucun emploi local. Pire, ST Micro est en train de détruire une centaine d’emplois en Isère.

Le programme Nano 2017 : un soutien public inconséquent et sans conditions à la filière micro électronique en France. Montant cumulé des aides publiques (Europe, Etat et collectivités) : 1 397 millions€ pour ST Microelectronics et 429 millions d’euros pour le CEA.

Nous avons compilé dans cette note des informations importantes pour notre Région.
** Parce qu’il n’est pas banal de devoir approuver en commission permanente une convention cadre de 25 millions d’euros.
** Parce que, même si le principe de cette aide a été voté par une majorité PS-UMP de fait lors de l’assemblée plénière d’octobre 2013, tous les problèmes qu’elle pose n’ont pas été soulevés. Aussi, nous adressons à chaque conseiller régional et à la presse cette note qui exprime notre point de vue sur une aide « forcée » qui ponctionne une bonne part des capacités financières de l’aide à l’économie régionale.

Le programme Nano 2017 qui couvre les années 2012 à 2017 porte sur 2 milliards 316 millions d’euros. Ce programme fait suite à Nano 2012 (2008– 2012 : 2 milliards 629 millions qui, lui-même, faisait suite à Crolles 2002 et Crolles 2008). Nos remarques portent donc sur un montant d’aides à la micro électronique grenobloise de plusieurs milliards d’euros versés depuis 15 ans.

La société ST : où se trouve-t-elle ?

La société mère ST Microelectronics est de droit hollandais (Amsterdam) et la direction administrative et opérationnelle est regroupée en grande partie en Suisse, près de Genève. Les sièges des régions sont à Carolton (USA), Singapour (Asie-Pacifique), Tokyo (Japon), Shanghai (Chine) et Bouskara (Afrique)
Les effectifs de ST Microelectronics : plus de 44 000 personnes dont 11 500 en France (dont 5 800 en Isère), 8 500 en Italie, 3 000 à Singapour, 3 000 en Inde, 3 000 au Maroc, 6 000 en Chine et 9 000 dans d’autres pays (Suisse, Hollande, Japon, USA….)
Au total 16 unités de R&D, 39 centres de conception, 13 sites de production, et 78 bureaux de vente dans 36 pays.

Nos remarques porteront sur :
• les motivations de cette aide
• la destination finale des subventions
• la très faible création d’emplois au regard des montants financiers concernés
• la façon dont se passe l’évaluation des résultats.
• l’affectation des résultats et l’optimisation fiscale
• une réflexion du modèle économique

1. Une aide publique à la filière micro-électronique bien orientée ?

** Dans un contexte de guerre économique, l’Europe estime qu’il est de son devoir d’apporter une aide financière à sa filière micro-électronique qui se situe en amont d’une part importante de l’industrie d’aujourd’hui.
L’Europe estime également qu’elle est en droit de le faire puisque les États-Unis et le Japon accordent également une aide massive à cette industrie. L’Etat Français partage cette analyse et apporte une aide conséquente à la micro-électronique.

** Malgré les artifices de présentation, c’est au final ST qui est le principal bénéficiaire des aides à la recherche puisque c’est ST qui vend les produits. Les aides des collectivités sont davantage fléchées sur la recherche menée ou coordonnée par le CEA LETI. Mais les résultats de la recherche font l’objet de transferts de technologie vers ST en continu. Il s’agit donc bien d’aides directes ou indirectes à ST. Les arguments qui nous sont donnés par la Région pour cette convention-cadre concernent essentiellement l’emploi.

** Une répartition des aides publiques en trompe l’oeil : l’Etat est actionnaire de ST à hauteur de 17% du capital. A ce titre, il perçoit chaque année (puisque ST distribue des dividendes même pour les années de déficit) environ 70 millions d’euros, soit sur les quatre années du programme, 280 millions€. Pour les quatre années précédentes, l’Etat a versé 400 millions€ à ST et perçu 280 millions$ de dividendes.
** Pour Nano 2017, les collectivités sont sollicitées à hauteur de 100 millions € mais elles ne perçoivent aucun dividende.

** Le cumul des aides à la filière (Europe, Etat et collectivités) sera, pour le programme Nano 2017, de 1.397 millions€ pour ST et de 429 millions€ pour le CEA, soit 1,825 millions€ ou 2,240 milliards$ : c’est à dire 36% du CA annuel ou 10% du CA prévisionnel des 4 années du programme.

** Le cumul des aides publiques à ST finance plus de la moitié des coûts de Recherche et Développement du groupe. Est-il normal de financer à cette hauteur ?

 

2. L’essentiel de la subvention est utilisé dans d’autres pays

** La plus grande partie de la subvention concerne le financement des équipements pour la nouvelle salle blanche de Crolles. Le coût de ces équipements est estimé par ST à 1,5 milliard. Il s’agit essentiellement d’équipements de FRONT-END (équipements de gravure, d’implantation ionique, de contrôle…) ; environ 90 % des fabricants de ces équipements très complexes et coûteux sont américains ou japonais puisqu’il n’y a plus d’équipementiers en France. C’est-à-dire que l’essentiel de la subvention ira financer l’industrie américaine ou japonaise. Les personnels de ces sociétés présents en France sont essentiellement des technico-commerciaux, les personnels qui assurent la maintenance de ces équipements sont pour une part des salariés de sociétés américaines ou les techniciens de ST qui vont se former aux États-Unis ou au Japon.

** Le site de Crolles est essentiellement destiné à la mise au point des nouvelles technologies mais l’essentiel de la production est assuré par des usines installées en Chine et en Asie. Notamment, toutes les opérations de BACK-END (assemblage) sont réalisées dans ces mêmes pays, à Singapour ou en Chine. Beaucoup d’opérations de conception sont faites par les équipes de ST implantées en Inde. Les effectifs d’ingénieurs autochtones ST dans ce pays sont impressionnants.

** La convention-cadre n’est pas signée seulement par les sites de Crolles et de Grenoble, mais aussi par les autres sites de ST en France (Rousset et Grand ouest). Les aides que nous votons bénéficieront également à ces régions.

** Au final, on peut donc estimer la part de la subvention qui part directement à l’étranger ou hors de la région aux deux tiers du milliard € d’aides publiques.

 

3. Un impact emploi limité

** En ce qui concerne l’emploi, les chiffres annoncés ne correspondent pas à la réalité. Ce fut déjà le cas lors de tous les précédents programmes depuis Nano 2002. Ainsi, le nombre d’emplois générés par cette subvention est nettement plus important en Asie qu’en Rhône-Alpes. Ceci explique en grande partie pourquoi, lors du dernier plan Nano, les subventions déjà très importantes n’ont généré que 200 emplois nouveaux en Rhône-Alpes.
** La direction de ST l’a reconnu très clairement et ne prend « donc » aucun engagement dans la présente convention ! La justification de la subvention publique de presque 2 milliards € est donc simplement de « maintenir l’emploi » !

Pour résumer, au regard de cette énorme subvention, l’impact emploi est le suivant :
** Les subventions qui concernent les investissements fait en Europe créent essentiellement des emplois aux États-Unis et au Japon.
** Les subventions qui concernent la conception de circuits intégrés créent essentiellement des emplois en Inde.
** Les usines de fabrication qui produisent in fine les circuits intégrés, de même que les usines d’assemblage, sont presque toutes en Asie.

Tout ceci explique donc le faible nombre d’emplois directs créés depuis 10 ans sur les sites isérois. Quant aux emplois indirects ou induits, le chiffre de 25.000 est très exagéré.

** Bien plus, malgré la manne publique reçue ST continue à supprimer des emplois en France: au moment même où nous votons le déblocage des 25 millions€ (25 millions débloqués dès décembre 2014 alors que le contrat est prévu sur 4 ans !), ST annonce 450 suppressions d’emploi dont une centaine sur Grenoble. C’est indécent !

 

4. Des subventions publiques pour alimenter la distribution de dividendes !

L’argumentation principale d’Eric Piolle, lors du vote d’octobre 2013, portait sur un autre point que personne ne peut nier : le montant de la subvention correspond en gros au montant des dividendes distribués aux actionnaires.

** Dans ce cas, pourquoi ne pas demander un retour sur investissement proportionnel à l’évolution du chiffre d’affaires puisque c’est la collectivité qui prend le risque et non plus les actionnaires ?

ST distribue depuis des années un dividende quel que soit le résultat de la société, bénéfice ou déficit. Les dividendes sont trimestriels. Les dividendes pour le 4e trimestre 2014 et pour le premier trimestre 2015 sont déjà annoncés. Le calcul est simple : 0,10 + 0,10 x 910.500.000 titres = 180 millions $.
Presque en même temps, le management annonce des perspectives sombres et la suppression de 450 emplois dont 180 en France qui a pour objectif de réduire les coûts de 100 millions $. Et ST annonce du chômage partiel au 1er trimestre 2015 en Isère !

** 342 millions $ de dividendes ont été distribués en 2013. Et ST a racheté pour 150 millions$ d’actions, soit un demi-milliard qui ne servent pas à l’investissement, à la recherche ou à une politique industrielle offensive.
Pour la période 2008-2013, ST a distribué 1,8 milliards $ à ses actionnaires (malgré 3 années déficitaires sur 5 années) et perçu 1,5 milliards€ des pouvoirs publics (donc du contribuable).

CQFD : Les subventions publiques alimentent quasi-directement les dividendes des actionnaires!

 

5. L’évaluation de la politique publique de soutien à la filière microélectronique

Enfin, les modalités de l’évaluation des résultats réels sont de fait sous la responsabilité de la société ST puisque c’est elle, ou le CEA, qui rémunère les experts chargés de réaliser cette évaluation et que ces experts sont payés sur les crédits de la subvention.
Il est nécessaire a minima que, même si le financement régional n’est que de 25 millions€ sur 961 millions€ pour la partie française, une évaluation régionale soit faite en bonne et due forme, comme le prévoit d’ailleurs la délibération sur l’évaluation que nous avons votée.
Notons aussi qu’aucune clause d’éco-conditionnalité ne figure dans ce texte ni aucun engagement chiffré d’emploi. Le seul engagement chiffré est un engagement de dépenser tant pour la recherche et tant pour l’investissement.

 

6. Le modèle économique

Le programme d’aides publiques fait partie de la stratégie même de la société ST. C’est devenu, au même titre que les produits vendus, une source de revenus. C’est devenu un dû (pour le maintien de l’activité dans notre pays) alors même : que la proportion des aides est sans commune mesure avec la part de l’activité dans le pays et que l’investissement des collectivités locales de Rhône-Alpes est disproportionné.

Les arguments qui sous-tendent cette énorme aide publique à la filière sont au nombre de deux :
** Il faut absolument maintenir cette filière stratégique en France et en Europe,
**  » puisque les américains subventionnent leur filière microélectronique, il nous faut faire la même chose»

C’est avec ce raisonnement qu’on a certes développé et maintenu les sites en France et notamment en Isère.
Mais que l’on a aussi acheté (et donc contribué à la recherche) pour 10 milliards€ d’équipements aux USA et au Japon en 20 ans et créé près de 30 000 emplois à l’étranger (Chine, Inde, Singapour, USA, Maroc, Malte, Italie, Suisse…).

** Qui a fait le rapport coût-avantage de l’utilisation de l’argent du contribuable français comparé avec d’autres utilisations possibles ? Personne…

EN CONCLUSION nous demandons :

** que l’approbation de cette convention-cadre soit reportée à la prochaine assemblée plénière. Pourquoi se précipiter ainsi pour débloquer en décembre 2014 une somme qui est prévue pour 4 ans ?
** que l’on y fasse figurer des engagements en emplois de la part de la société bénéficiaire.
** Que l’on y fasse figurer des clauses d’évaluation et d’éco-conditionnalité.
** Que l’on prévoie de récupérer un pourcentage des dividendes proportionnellement à l’augmentation du CA : nous finançons des innovations pour des entreprises dont c’est l’objet social d’innover. Si la collectivité prend le risque à sa place, il faut demander un retour. Ce serait une juste application de la règle libérale.
** Ne faut-il pas, enfin, faire le bilan de cette course à l’échalote à laquelle nous ont poussé les américains et qui leur profite pour plus de la moitié ?
** Ne faut-il pas que la région retrouve son autonomie pour financer la recherche qui lui parait la plus utile à la société ? Il s’agirait là de mesures vertueuses et sans doute plus économes de l’argent public.

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