Lyon Turin : Lettre ouverte à Jean-Jack Queyranne

Objet : Projet « Lyon – Turin » : votre entretien à l’AFP et au Progrès du 1er décembre, et perspectives d’un débat en assemblée plénière.

Monsieur le Président, cher Jean-Jack, 

Tout d’abord, permettez-nous de vous souhaiter une excellente année 2013, dans tous les domaines qui comptent dans une vie. 

Permettez-nous aussi de revenir sur un dossier qui sera aussi important en 2013 qu’en 2012. C’est du projet « Lyon – Turin » dont nous souhaitons vous entretenir… 

En novembre et décembre dernier, la couverture médiatique du projet a été très intensive. Dans plusieurs articles citant vos propos, nous avons lu avec surprise de grosses inexactitudes, tant sur le fond du dossier que sur la position du mouvement Europe Écologie – Les Verts. Nous n’avons pas souhaité réagir à chaud, préférant échanger avec vous sereinement sur les tenants et aboutissants du projet. Mais vos affirmations, tout comme nos dernières réflexions, méritent plus d’une clarification. 

Dans un entretien à l’AFP et au Progrès (édition du 1er décembre), vous évoquez d’abord un projet « de ligne à grande vitesse » entre Lyon et Turin, y voyant « un investissement qui permet de réduire la pollution »

Vous entretenez là une vieille confusion sémantique, puisque les lignes à grande vitesse (LGV) sont en France et partout dans le monde réservées aux voyageurs. Les LGV sont conçus pour des circulations à 250 km/h et plus, et même 320 km/h pour les dernières lignes mises en service en France (LGV Est). Ces vitesses sont incompatibles avec la circulation de trains de fret à 100-120 km/h. Or le projet Lyon – Turin n’a pas d’intérêt environnemental si on le cantonne à la dimension « voyageurs ». 

Le nombre des trajets entre Paris et Lyon d’une part, Turin et Milan d’autre part, est trop réduit pour justifier la construction d’un tunnel de 57 km – sachant par ailleurs qu’un temps de parcours de 4h30 entre Paris et Milan ne sera pas en lui-même facteur de report modal. Au-delà de 3h de trajet, les usagers arbitrent plutôt en fonction du coût, du niveau de service et de la commodité du mode de transport, autant de critères qui sont bien moins à l’avantage du TGV. Les élus écologistes le répètent constamment depuis 20 ans dans l’hémicycle régional, à Charbonnières puis à Confluence. 

Justement, en faisant allusion aux positions écologistes, vous dites : « Il y a une volte-face de certains défenseurs de ce projet». Mais quelle volte-face ? Les écologistes ont toujours été opposés à une LGV entre Lyon et Turin. Nous militons au contraire pour une ligne donnant la priorité aux trains de fret, donc limitant la vitesse des trains de voyageurs à 200-220 km/h pour maximiser le nombre de sillons disponibles. Vous aviez rejoint cette position en 2007, comme l’État à l’époque. Si volte-face il y a, elle émane plutôt de ceux qui défendent aujourd’hui la priorité à la grande vitesse et la desserte de Chambéry plutôt que l’accès au sillon alpin. 

Vous dites encore : « L’objectif est de transférer sur le rail au moins un tiers des camions passant par les tunnels du Mont Blanc, du Fréjus et de Vintimille. Jusqu’en 2007, la croissance globale sur les trois passages a été de 3,3% par an »

Nous sommes plus ambitieux. Nous souhaitons transférer sur le rail deux tiers des marchandises passant par les tunnels routiers du Mont Blanc et du Fréjus, comme la Suisse y parvient déjà. L’objectif est tenable car dans ces deux tunnels, les flux stagnent depuis 1994 et baissent depuis 2004. Ils se sont établis à 20,3 millions de tonnes en 2011. Certes, reste le trafic de Vintimille, avec 17,8 millions de tonnes de marchandises en 2010. Ce trafic a cru fortement jusqu’en 2004, et stagne depuis. Mais seule une partie de ce flux pourra se reporter sur l’itinéraire Lyon – Turin, du fait même des origines / destinations des marchandises. D’autres solutions doivent être trouvées, sur place avec la ligne mixte Marseille – Nice – Vintimille en projet, et via le fret maritime entre l’Espagne et l’Italie. Quoi qu’il en soit deux tiers de 20,3 millions plus un tiers de 17,8 millions n’ont jamais fait 40 millions ! 

Or, nous disposons déjà d’un tunnel ferroviaire d’une capacité de 20 millions de tonnes, mis récemment au gabarit GB1 comme l’intégralité de la ligne Dijon – Ambérieu – Modane. Plusieurs centaines de millions d’euros ont été investis sur l’itinéraire. Est-il dans ces conditions prioritaire de creuser un deuxième tunnel, parallèle, ayant une capacité de 40 millions de tonnes ? 

Vous expliquez aussi que « le coût est en partie pris en charge par l’Europe, sur une base de 40%, car c’est un projet d’intérêt européen »

Mais rien n’est encore décidé au niveau européen, et l’âpreté des négociations autour du cadre budgétaire 2014-2020 devrait nous inciter à la prudence. D’ailleurs, à ce stade de la construction européenne, la quasi-totalité des « recettes » du budget de l’Union provient comme vous savez d’une contribution directe des États-membres. Faudra-t-il que la France augmente sa contribution – 19,6 milliards d’euros prévus en 2013 – pour que le tunnel international soit subventionné à hauteur de 40% ? 

Nous pensons, comme la Cour des Comptes, que les évolutions de trafic constatées et les difficultés budgétaires actuelles devraient nous inciter à orienter nos dépenses vers l’essentiel. Or les infrastructures essentielles, pour mettre les marchandises sur le rail, sont situées entre Lyon et le sillon alpin d’une part, entre Turin et Suse d’autre part. Sur ces sections, les voies sont saturées et « malades », comme les usagers du réseau TER le savent bien. On ne fera passer aucun train supplémentaire vers l’Italie si le problème de l’accès au sillon alpin n’est pas rapidement résolu. Cela suppose d’offrir une fiabilité et des capacités supplémentaires aux opérateurs de fret, mais aussi au service TER – y compris pour des dessertes innovantes de type tram-train. Les financements publics, européens, nationaux et régionaux, devraient être fléchés en priorité vers ces investissements. 

Vous affirmez enfin qu’« aller contre le Lyon – Turin aujourd’hui, c’est faire le choix de la route et du lobby routier ». Passons sur le fait que Transport et Logistique de France (TLF), principale organisation professionnelle des transporteurs routiers, soit un membre actif du Comité pour la Transalpine. Mais il y a du cocasse dans votre caricature. Depuis ses origines, Europe Écologie – Les Verts défend des alternatives au tout routier, cette culture commune qui a cimenté les décideurs de notre pays pendant tant d’années. 

Nous ne sommes pas devenus pro-route, mais pensons simplement qu’un tube de plus ne pourra jamais tenir lieu de politique des transports. Aujourd’hui on promet un tunnel pour 2028-2029, et d’ici là une croissance ininterrompue des flux, y compris routiers. Dans son dossier d’enquête publique sur les accès français, RFF prévoit sans sourciller 720 000 camions de plus chaque année aux passages du Mont Blanc et du Fréjus, ce à l’horizon 2035, après l’inauguration du nouveau tunnel. Comment expliquer ce type de projection aux habitants des vallées de l’Arve ou de la Maurienne ? 

Les promoteurs du tunnel international n’en ont pas l’intention, pas plus qu’ils ne semblent s’émouvoir des concessions faites aux transporteurs routiers, bien concrètes celles-ci. L’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes au 1er janvier 2013 ? L’ouverture de la galerie de sécurité du Fréjus aux camions à partir de 2015 ? Allons, ce serait malice que d’y voir un choix de la route, puisqu’un second tunnel ferroviaire est programmé pour 2028 ou à peine plus tard. 

C’est notamment pour cette raison que les écologistes de France, d’Italie et de Suisse ont organisé, les 19 et 20 octobre derniers à Chambéry, une convention traitant de la question des traversées alpines dans son ensemble. Cette convention a débouché sur une position commune, devenue « officielle » après délibération par les instances du Parti Vert Européen et d’Europe Écologie – Les Verts. Pour information, nous vous transmettons cette position commune en pièce jointe, en espérant qu’elle lèvera certains malentendus et vous conduira à apprécier notre analyse sous un jour moins caricatural. 

À l’issue de ce travail collectif, il nous semble urgent de remettre à plat le projet « Lyon – Turin » à l’aune des données économiques et financières de 2012, en lien avec une politique de report modal à l’échelle de l’arc alpin et au-delà de la seule réponse par les infrastructures. Car des mesures de régulation du trafic routier doublées d’une véritable éco-redevance poids lourds pourraient très vite doper le trafic à travers le tunnel existant. Ces mesures peuvent être prises demain ou presque, mais toute l’énergie des décideurs est aujourd’hui concentrée sur un mégaprojet de « dans 15 ans », brandi depuis 15 ans. 

Vendredi 14 décembre dernier, l’assemblée régionale a voté très majoritairement en faveur d’un report du vœu demandant des précisions sur l’échéancier du tunnel international, vœu déposé par le groupe PRG. Vous avez proposé ce report en expliquant : « on ne va pas bricoler quelque chose sur un sujet d’ampleur internationale ». Nous recevons cinq sur cinq cette objectio n en vous proposant un temps d’échange plus approfondi sur la question des traversées alpines. Cela nous permettra de cerner précisément nos points d’accord et de désaccord sur ce dossier très important pour la région, puis de rechercher une position commune avec les groupes qui le souhaiteront. 

Dans cette attente, nous nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire et vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération respectueuse. 

Alexandra CUSEY

Co-présidente du groupe Europe Écologie – Les Verts 

Éric PIOLLE

Co-président du groupe Europe Écologie – Les Verts 

Jean-Charles KOHLHAAS

Président de la commission Transports 

A voir aussi :    Position commune des écologistes sur les traversées alpines, adoptée à l’issue de la convention des 19 et 20 octobre 2012 à Chambéry (France, Italie, Suisse).

 

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